Alors que les débats sur les méfaits du confinement et maintenant sur le rapport bénéfice/risque des vaccins battent leur plein, "trois chercheurs américains, croisant les chiffres de la croissance et de la mortalité due à la pandémie de Covid-19 de nombreux pays, concluent à l’efficacité du confinement, à condition qu’il soit assorti de fortes subventions publiques."
Cet article publié dans Le Monde du 11 décembre 2020 (à télécharger in extenso ci-dessous). En voici de larges extraits qui révèle en conclusion la nécessité du confinement pour juguler la pandémie, sans attendre les mesures gouvernementales dont les stratégies ont varié en fonction des pays, certains ayant mieux réussi que d'autres.
"Un certain nombre de politiciens, journalistes et personnalités du monde des affaires proclament que les dégâts économiques et sanitaires d’un confinement sont aussi graves, sinon pires, que ceux causés par le virus qu’ils sont censés conjurer.
Une analyse précise des données des dix derniers mois, provenant de dizaines de pays à travers le monde, permet pourtant d’affirmer avec certitude que ces déclarations sont erronées. Les confinements stricts fonctionnent et donnent des résultats rapides, entre quatre et six semaines après leur instauration. Ils sont parvenus non seulement à ralentir, mais quasiment à éliminer le virus en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Islande, en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan. Cette analyse permet ainsi de formuler sept recommandations à l’intention des gouvernements et des citoyens.
1. Commencer par sauver des vies
Limiter les dégâts économiques de la pandémie débute et s’achève avec le contrôle de la propagation du virus. Les pays qui ont pris rapidement des mesures pour contrôler la circulation du Covid-19 rouvrent peu à peu leurs économies et retrouvent le chemin de la croissance. La plupart de ceux qui se sont donné comme objectif prioritaire de soutenir l’économie et ont refusé, limité, ou supprimé prématurément les mesures visant à contrôler la pandémie sont aujourd’hui confrontés à un emballement des taux de contamination et ont dû imposer des reconfinements nationaux.
Quand on prend en compte l’ensemble des coûts de la réponse à la pandémie – y compris ceux dont le règlement s’étalera sur les années à venir –, les différentes stratégies nationales se distinguent clairement les unes des autres. Les pays qui se sont rapidement concentrés sur le contrôle et l’élimination du coronavirus, choisissant de ce fait de sacrifier leur économie afin de limiter la propagation du virus et de sauver des vies, apparaissent en haut du tableau, le long de la ligne pointillée verte.
Les pays qui ont limité leur réponse à la pandémie au profit de mesures de relance, préférant sauver l’économie plutôt que la vie de leurs citoyens, se répartissent le long de la diagonale rouge. Ceux qui ont tardé à réagir ou ont hésité entre plusieurs stratégies sont regroupés au centre, comme le Royaume-Uni, et subissent le pire des deux extrêmes.
Cette infographie met en lumière les limites claires et concrètes de la solidité de l’économie de n’importe quel pays, proportionnellement à la sévérité locale de la pandémie : plus on a laissé se propager le coronavirus, plus les coûts pour y faire face se sont accumulés, ce qui a directement impacté le coût économique total. Aucun montant de dépense visant à soutenir l’économie, au travers de mesures budgétaires ou monétaires, n’a modifié la répartition quasi linéaire de ce lien. Cet élément devrait à lui seul dissuader les dirigeants des Etats de n’envisager que des réponses économiques pour faire face au Covid-19.
« L’efficacité relative des mesures s’établit probablement à 1 000 contre 1 en faveur du contrôle de la pandémie, plutôt que de la relance économique »
Mais un élément encore plus accablant émerge lorsque l’on observe la façon dont le graphique évolue dans le temps : les pays qui, comme les Etats-Unis, ont opté pour les mesures de relance économique, tout en laissant le virus se propager, continuent d’enregistrer une circulation virale non maîtrisée. Ce qui, trimestre après trimestre, aggrave les dégâts économiques liés à cette propagation.
Ils se trouvent piégés dans un cercle vicieux calamiteux, puisqu’ils sont contraints d’investir toujours plus afin de rester sur cette limite diagonale, tandis que le virus se propage et que leur PIB continue de chuter, accumulant ainsi des mesures de relance toujours plus massives et laissant un nombre croissant de personnes contracter le Covid-19 jusqu’au moment où leur système médical ne peut plus suivre, rendant les confinements rigoureux inévitables.
En revanche, la Chine, Taïwan, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Islande, Singapour, le Vietnam et la Thaïlande qui ont, dès le départ, investi dans une lutte vigoureuse contre le virus sont parvenus à l’éliminer et ont vu leur économie repartir. Ils sont par ailleurs engagés dans un cercle vertueux grâce auquel les économies croissent d’elles-mêmes, sans mesures de relance additionnelles, et, avec la baisse du nombre de cas, enregistrent une atténuation des dégâts liés à l’épidémie. Leur tendance naturelle autoentretenue est donc de se déplacer progressivement vers la droite le long de la ligne verte, en direction de la reprise économique. Grâce à cette stratégie, ils sauvent des centaines de milliers de vies ; un bilan manifestement gagnant-gagnant en termes aussi bien humanitaires qu’économiques.
La différence essentielle entre les pays asiatiques qui ont réussi à maîtriser la pandémie et les pays occidentaux qui continuent à lutter réside dans l’usage généralisé des masques de bonne qualité et le strict respect des mesures de distanciation sociale, adoptées et mises en œuvre par les gouvernements nationaux. Ces derniers ont calculé – à raison – que les coûts de production et de distribution de masques à toute la population, l’imposition de la distanciation sociale et le soutien aux plus démunis durant de brefs mais efficaces confinements ne pèsent pas grand-chose par rapport aux dégâts économiques à long terme que pourraient causer des vagues successives de contaminations et les mesures de relance nécessaires tant que le virus circulera sans contrôle.
Ce que font en réalité les partisans de l’économie à tout prix, c’est échanger quelques semaines de « liberté » dans l’immédiat contre des mois de confinement supplémentaires lorsque les hôpitaux seront débordés, en laissant par la même occasion des dizaines de milliers de personnes mourir inutilement.
A l’évidence, les confinements durs et leurs coûts économiques désastreux sont le résultat inévitable d’erreurs politiques et d’une mauvaise gouvernance dans la lutte directe et précoce contre la pandémie, alors que des solutions moins contraignantes et moins coûteuses auraient épargné de nombreuses vies et évité des dépenses.
2. Renforcer les mesures efficaces et peu coûteuses
David Cutler et Lawrence Summers ont évalué, dans un article publié par le Journal of the American Medical Association le 12 octobre, le coût total du Covid-19 aux Etats-Unis à 1 600 milliards de dollars. Il semblerait donc logique que toute mesure – même atteignant les 1 000 milliards de dollars – susceptible d’éviter une partie de ces dégâts devrait être appliquée de toute urgence. Pour chaque dollar dépensé, elle serait d’un rapport de 1 000 pour 1 en termes de dégâts économiques évités.
L’accélération du Defense Production Act [la loi sur la production de défense que Donald Trump a déclaré vouloir invoquer si nécessaire pour produire des doses de vaccin] et le recours à la production de masse étrangère pour inonder le marché américain de masques KN95 de haute qualité devraient figurer en tête de liste. De vastes campagnes dans les médias et sur les réseaux sociaux, promouvant le port du masque et la distanciation sociale et encourageant le civisme, généreraient également de solides retours sur investissement, notamment dans les communautés qui ont été bombardées depuis neuf mois par les consignes contradictoires de la part des responsables politiques.
Autre domaine essentiel qui mérite investissements et subventions : les transports en commun – et plus généralement les lieux susceptibles d’accueillir des événements super-propagateurs –, qui devraient être équipés de systèmes améliorés de chauffage, ventilation et climatisation dotés de filtres HEPA et d’un débit d’air accru capable de limiter la transmission aérienne. Les meilleures consignes sur la ventilation des locaux recommandent un renouvellement complet de l’air toutes les six à sept minutes.
3. Cibler géographiquement, en fonction de la prévalence
Nous pouvons à présent utiliser des cartes indiquant en temps réel la prévalence du coronavirus par comté et même par code postal, afin de concentrer les mesures de contrôle de la pandémie selon les besoins, en assignant des niveaux de mesures ciblées et différenciées en fonction de la sévérité des concentrations locales du virus. Les mesures barrières non coûteuses, telles que la distanciation sociale et le port du masque, devraient être généralisées.
Les mesures et confinements régionaux efficaces instituent de fait des limitations de déplacement et des quarantaines pour les personnes vivant dans des zones de forte prévalence. Sans ces restrictions, une prévalence locale devient en quelques semaines une prévalence au niveau régional, puis au niveau national.
4. Subventionner l’arrêt des travailleurs non essentiels
Durant les confinements les plus rigoureux institués dans les communautés victimes d’une forte prévalence, individus et sociétés ne devraient pas être rémunérés pour continuer à travailler comme auparavant lorsque l’entreprise est non essentielle. Ils devraient au contraire être payés pour ne pas se rendre sur leur lieu de travail, afin de ne pas propager le virus. Si cela peut paraître coûteux et contraignant, l’alternative l’est encore plus : des confinements plus larges et plus durables, qui ne peuvent plus être repoussés en raison de l’effondrement des systèmes de soins et de santé publique dans leur ensemble.
5. Dépister les travailleurs essentiels, et sécuriser les conditions de travail
Un autre aspect essentiel du combat pour enrayer la pandémie et créer les conditions de la reprise économique est que les travailleurs réellement essentiels, en particulier ceux que leur travail amène à entrer en contact avec de nombreuses autres personnes – livreurs, personnel hospitalier, employés des magasins d’alimentation –, doivent être soutenus grâce à la fourniture subventionnée d’équipements de protection individuels, l’amélioration des dispositifs de ventilation, des tests moléculaires fréquents et réguliers et un dépistage systématique des symptômes.
Nous devons également développer à leur intention des politiques de congé et de soins qui les protègent eux et leurs familles lorsqu’ils sont contaminés par le Covid-19, afin qu’ils ne soient pas incités à dissimuler leurs symptômes et à continuer à travailler alors qu’ils sont contagieux.
6. Accélérer la modulation des mesures de prévention
Alors que les données concernant les résultats des tests, le nombre de nouveaux cas, d’hospitalisations et de décès liés au Covid-19 sont mises à jour de façon quotidienne et comté par comté, les outils analytiques sont en mesure de déterminer en une ou deux semaines si les mesures de prévention en cours sont efficaces. Et si tel n’est pas le cas, elles doivent être immédiatement modulées.
Les responsables locaux doivent avoir accès à ces outils et être formés à leur utilisation. Mais, surtout, ils doivent intégrer et appliquer deux leçons fondamentales : une fois que la propagation du coronavirus est sur une trajectoire de croissance exponentielle – et à moins qu’il ne soit vigoureusement combattu –, on ne peut échapper à une issue catastrophique et à des confinements obligatoires ; et plus vite on procède à l’ajustement des mesures de prévention, idéalement dès qu’une courbe de croissance tendanciellement exponentielle est détectée, moins les mesures nécessaires sont contraignantes.
7. Financer la surveillance de l’évolution de la pandémie
Pour que la stratégie de réaction rapide décrite ci-dessus soit efficace, il faut un test moléculaire universellement disponible et qui soit coordonné centralement, avec transmission immédiate des résultats, pour pouvoir analyser et orienter en temps réel mesures sanitaires et dispositifs de relance.
Ne pas attendre l’action du gouvernement
En conclusion, partout où le coronavirus sévit, les responsables politiques doivent agir dès à présent à partir des meilleurs avis scientifiques disponibles. La Chine, l’Australie, Taïwan, Singapour, la Corée du Sud, le Vietnam, la Thaïlande, la Nouvelle-Zélande et l’Islande ont tous pris de telles mesures avant de réussir à maîtriser la circulation du virus.
Ils ont pu fournir des réponses rapides à partir de nombreuses données, étendre au niveau national la stratégie de dépistage et de traçage, instituer le contrôle des frontières afin d’isoler les régions saines de celles contaminées par le virus. Tous ces pays ont réussi à juguler et même à éliminer le virus sur leurs territoires et sont en train de rouvrir leurs économies. Les dernières initiatives chinoises dans les villes comportent ainsi des mesures à l’échelle du pâté de maisons.
« Pour les citoyens, attendre une réponse officielle déjà trop retardée serait un jeu de dupes »
Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les pays européens dans leur ensemble ont, jusqu’à présent, échoué à réagir de la même façon, et continuent d’être confrontés aux résurgences répétées d’une circulation virale en croissance exponentielle. Ils peuvent parvenir à juguler la pandémie en suivant l’exemple des pays qui ont réussi à le faire.
Mais pour les citoyens, attendre une réponse officielle déjà trop retardée serait un jeu de dupes. N’attendez pas que vos gouvernements agissent. Confinez votre famille. Persuadez vos écoles qu’elles doivent revenir à l’enseignement à distance. Suivez vos offices religieux en ligne. Faites-vous livrer vos repas à domicile. Evitez les bars, les clubs, les gymnases, les cafés et restaurants. Convainquez vos amis, voisins, collègues de travail et membres de votre paroisse de faire de même. Exhortez chacun à comprendre que le port du masque et le respect de la distanciation sociale sont des services publics dans l’intérêt du bien commun.
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