A l'heure où j'écris ces lignes, la France enregistre son plus bas taux de la 5e République de participation au deuxième tour des élections municipales 2020, soit 59%. N'ayant pas été spécialement formée dans mon enfance à ce type de droit civique quasi-inexistant au Liban, puis, ayant pris du temps lorsque je suis devenue française à comprendre la portée d'un tel geste et la chance que nous avions de pouvoir l'exercer en toute liberté, et face au désintérêt d'un nombre croissant de personnes – surtout les jeunes – de la chose politique, je m'aperçois que je suis devenue une vraie défenderesse de ce droit à la démocratie, consciente de l'importance de mes choix même si ce n'est pas ceux-là qui réussissent à s'imposer in fine.
Je ne dis pas que parfois, mon avis ou ma décision n'est pas noyé dans la masse et que ça m'ulcère, si, démocratie oblige, il faut se rallier à la majorité qui n'est pas celle que l'on a choisie. Aussi, que dire face à l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, de Jair Bolsonaro au Brésil ou encore de l'Imam Khomeyni en 1978 en Iran ? Que dire aussi lorsque, pipeau ou pipé, comme en Syrie en mai 2007 où Bachar Al-Assad est élu pour un deuxième mandat avec un score de "satrape africain" de 97,6 % des voix (voir l'excellent papier du Monde, Dallas à Damas, le clan Assad se déchire) ou au Liban où le clientélisme et le clanisme restent de mise avec un non renouvellement absurde de la classe politique ? Je ne vais pas passer en revue tous les pays où règnent des despotes d'un autre âge ou des partis extrémistes élus en toute légalité (l'extrême-droite en Europe !) ou illégalité mais je reconnais que parfois la démocratie ressemble à un luxe que de moins en moins de gens apprécient à sa juste valeur tandis que certaines causes dévoyées ou personnalités non recommandables l'utilisent à mauvais (ou bon ?) escient et arrivent à leurs fins.
En fait, comme toute chose ou tout concept, vous vous en doutez, tout n'est pas blanc ou noir et la démocratie ne saurait se résumer à la dictature d'une majorité, quelle qu'en soit la couleur. Dans Démocratie. Histoire politique d’un mot. Aux États-Unis et en France, le politologue Francis Dupuis-Déri explique que les fondateurs des républiques modernes condamnaient dans l’idée de démocratie «une tyrannie des pauvres»! Les Européens, comme le rappelle Dupuis-Déri en s’appuyant sur des écrits des XVIIe et XVIIIe siècles, «ont été en contact avec des sociétés amérindiennes fonctionnant selon des principes démocratiques» dans des assemblées populaires plus proches de la recherche du consensus que de la démagogie. Fasciné par cet «état de nature , Rousseau vit dans la démocratie directe un «gouvernement si parfait», qui «ne convient pas à des hommes» mais à des «dieux». Il écrivit encore: «À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre.»
A la bonne heure. A l'été 2018, un sondage du centre de recherche américain Pew, a sondé environ 30 000 résidants de 27 pays sur l’état de leur système démocratique. Alors qu’un peu partout dans le monde des élites politiques se polarisent et que l’instabilité économique inquiète des populations, seulement 45 % des citoyens se disent satisfaits de la démocratie dans leur pays, contre 51 % d’insatisfaits. Selon l’étude, le mécontentement des populations tend à être plus grand quand l’économie va mal, quand les gens s’appauvrissent et que des normes démocratiques telles la liberté d’expression et l’équité devant la justice ne sont pas respectées.
Que se passera-t-il en plein déconfinement alors que la pandémie Covid-19 n'est pas enrayée mais que la décroissance est assurée un peu partout ? Comment imaginer l'exercice du pouvoir en France après les gilets jaunes, les grèves des transports et des urgences, la pandémie, la poussée des extrêmes ? La France prévoit une récession de 12,8% ! Qui saura gérer une telle récession, au niveau local, régional, national ? La poussée des écologistes "purs" alors que tous les partis ont intégré une dimension écologique à leur programme prouve qu'il y a une réelle prise de conscience des questions écologiques et une volonté d'agir concrètement. Et pour la presse européenne, une « vague verte », qui fragilise Macron.
Hier soir, j'étais déçue. Pour la première fois, sérieusement, je suis entrée en politique en soutenant une candidate (un peu tardivement il est vrai), Juliette Méadel, Demain Montrouge, sans étiquette, aux municipales dont le programme était fondée sur la volonté de faire de notre dense commune une ville bienveillante, dynamique et solidaire. J'ai cru à sa victoire et agi pour la faire connaître, en rejoignant toute son équipe formidable. Elle a perdu à 525 voix près, 59 % d'abstention et un maire sortant doté d'un super carnet de chèques pour "acheter" des voix, murmure-t-on. J'ai éprouvé ce même sentiment d'échec que celui vécu lorsque j'avais voté pour ex-1er ministre, Alain Juppé, laminé par un candidat opportuniste et moins "clean". Certes, naïve, j'ai cru que la vraie démocratie allait parler et vaincre aux urnes. Mais c'était sans compter, qu'en France aussi, le "clientélisme" de l'élu en place pouvait l'emporter "légalement".
C'est vrai que l'exercice de la démocratie est un art difficile sur lequel j'aurai du mal à disserter comme Toqueville ou tant d'autres. Pour autant, je reste convaincue que dans les pays où elle s'exerce, elle doit rester un rempart efficace contre les extrêmes mais que malheureusement, elle est aujourd'hui, (mondialisation oblige?) dévoyée. Alors qui croire et comment agir pour que les forces politiques auxquelles l'on adhère nous gouvernent sans que l'on ait la sensation d'avoir perdu sa liberté et son âme ? Et comment accepter que dans certains pays, cela ne puisse tout simplement pas exister ? Mes études de science politique remontent à si longtemps, que j'en ai oublié les réponses, si tant est qu'elles existent. Je vais chercher encore mais espère ne pas désespérer de cette liberté essentielle, celle de voter pour celui ou celle qui incarne nos idéaux sans que pour autant, par la suite, l'exercice du pouvoir ne l'emporte sur l'intérêt général. Naïveté ou utopie, les historiens nous le diront demain, à moins d'inventer de nouvelles formes de démocratie qui nous permettront de mieux considérer l'espèce humaine dans ce qu'elle a de meilleur. J'ose encore y croire.
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