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Photo du rédacteurFlying Butterfly

Droit(s) des générations futures : une notion plastique qui progresse dans la jurisprudence

Dernière mise à jour : 1 août 2023

L’étude « Droit(s) des générations futures », la première de ce type publiée par l'Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ), repose sur le travail d’un groupe de réflexion réuni sous son égide d’avril à octobre 2022. La conscience de la vulnérabilité du genre humain face aux effets de la puissance technologique a conduit à identifier une responsabilité à l’égard de l’humanité à venir. Appliquée à l’habitabilité de la planète et au vivant en général, au-delà de l’espèce humaine, cette notion ne concerne d’ailleurs pas seulement l’avenir, car « nous sommes déjà les générations futures ! » et nous expérimentons d’ores-et-déjà les conséquences de la dégradation des entités naturelles.


La notion de générations futures est ancienne mais sa consécration dans des textes juridiques est tardive.



Le développement au cours des XIXe et XXe siècles des parcs nationaux et autres réserves naturelles inscrit la notion dans une dimension environnementale voire écologique qui ne la quittera plus : c’est au nom des générations futures que la Nature est et doit être protégée.


À mesure que le monde prend conscience de la vulnérabilité du genre humain et de son environnement, la notion de générations futures glisse lentement vers celle de droit des générations futures.


La notion de générations futures est plastique et son champ d’application évolutif. En ce début de XXIe siècle, trois types de patrimoines seraient à explorer en sus du patrimoine écologique : la dette publique ; le patrimoine culturel ; le patrimoine génétique.


Les questions juridiques soulevées par la prise en considération des générations futures reposent sur une éthique théorisée dans l’ouvrage fondateur de Hans Jonas, publié en 1979 – Le Principe responsabilité – qui peut ainsi être résumée : « Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre »[1].


Selon Dominique Bourg, les générations présentes vont déjà commencer à vivre le cauchemar d’Hans Jonas. Ce qui est en jeu dès aujourd’hui est la réduction de l’habitabilité de la planète. Ce qu’on pensait être lointain est en cours. « Nous sommes déjà les générations futures ! Et plus encore nos enfants qui vivront encore dans la seconde moitié du siècle »[2].


La notion d’irréversibilité est centrale. Il y aurait trois intérêts à imbriquer : ceux des humains actuels ; ceux des humains à venir ; ceux des entités naturelles, en premier lieu le climat.


Mais comment prendre en considération ces générations, qui n’existent pas encore, dans le processus de décision démocratique ?


© Dollydoll29 - Shutterstock pour Usbek et Rica


Penser le droit des générations futures en démocratie n’a rien d’évident tant la préférence pour le présent de ce type de régime est patente


La nécessaire préservation de la nature et les notions de générations futures et de long terme sont répandues dans un grand nombre de constitutions de toutes les régions du monde. En France, la Charte de l’environnement a intégré le bloc constitutionnel en 2005.


S’interroger sur la place des générations futures dans l’ordre politique ce n’est pas seulement se demander quelle est la place institutionnelle qu’elles occupent ou devraient occuper mais comment la notion s’articule avec la conflictualité de la vie sociale présente. Qu’il s’agisse de la dette ou de l’écologie, des voix critiques se sont élevées pour souligner que la préservation des générations futures se fait au détriment des classes les plus défavorisées et que l’effort à accomplir n’est pas équitable.


Si les générations futures se fraient difficilement un chemin au sein des institutions démocratiques, elles semblent progresser plus sûrement dans la jurisprudence, au premier chef la jurisprudence constitutionnelle.


Les procès sont utilisés comme une arme par une partie de la société civile, pour pallier l’inaction des États et les activités néfastes d’un point de vue écologique de certaines entreprises. Le tribunal est conçu comme une tribune.

Ces actions sont l’expression d’une crise de légitimité des décideurs publics, qu’ils appartiennent au pouvoir législatif ou exécutif et d’un espoir placé dans les décisions de justice.


La jeunesse semble la mieux à même de porter ces actions, au sein d’une société civile qui interpelle le juge, lui demandant de trancher des débats à la fois juridiques et hautement politiques. Incarnant l’avenir, elle opère le lien entre générations présentes et futures.


Les actions en justice sont le plus souvent menées en relation avec les droits humains : on semble assister à une « fondamentalisation » du droit des générations futures.

Pour l’essentiel, le juge se voit poser trois questions :

  • Les générations futures ont-elles un intérêt à agir ?

  • Comment appréhender le dommage aux générations futures à l’aune des conditions du préjudice réparable ?

  • Comment mettre en œuvre la réparation du préjudice aux générations futures ?

La notion d’irréversibilité tient une place majeure dans les jurisprudences de plusieurs juridictions.


Dans plusieurs décisions figure une référence au principe de solidarité intergénérationnelle,qui permet de répondre à la question de l’intérêt à agir puisqu’il existe dans cette logique un lien entre générations futures et présentes, sans exclure ces dernières.


La question du droit des générations futures est étroitement liée à celle des droits de l’humanité.


Parmi les fondements juridiques les plus fructueux figure celui du devoir de vigilance, utilisé à la fois contre les États et contre les entreprises.

Dans la grande conversation mondiale, que provoque le(s) droit(s) des générations futures, la justice peut penser de nouveaux outils et les articuler.


Cette notion est suffisamment forte pour inspirer des projets à l’échelle européenne et mondiale. Elle mobilise une partie de la société civile qui saisit les juges, là aussi à l’échelle planétaire, sur ce fondement. Elle conduit à faire évoluer le droit en dépassant la question de la personnalité juridique. Elle permet à la fois d’arrimer le futur au présent et le sort des entités naturelles à celui des humains.


La notion n’a pas qu’une valeur philosophique ou politique, elle vaut en droit. Comme le soulignait Laurent Fonbaustier, « être juriste, c’est s’interroger sur la façon de faire muter le droit de façon systémique ».


Dans cette perspective, le droit des générations futures est donc le droit de l'humanité présente et future ancrée dans un vivant qui possède sa propre valeur.


[1] Hans Jonas, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Flammarion, Champs essais, 2013 [1979]. [2] Dominique Bourg, « Les générations futures... c’est vous », Revue Projet, 2015/4 (N° 347), p. 6-14. DOI : 10.3917/pro.347.0006.




Extraits de la synthèse de l’étude de l’IERDJ « Droit(s) des générations futures » par Sonya Djemni-Wagner aux multiples casquettes (magistrate, inspectrice générale de la justice, déléguée au développement stratégique de l’IERDJ, et autrice de l’étude), avec la collaboration de Victoria Vanneau, responsable d’études et de recherches à l'IERDJ.



Pour lire l’étude dans son intégralité, voir le site de l’IERDJ cliquant ici


© Création et conception graphique Isabelle Chemin, chemin.isabelle@gmail.com




Pour en savoir plus


Article de Pablo Maillé publié le 14 avril 2023 sur l’étude « Droit(s) des générations futures » avec une synthèse originale suite à l’échange avec la presse en présence de Sonya Djemni-Wagner, coordinatrice de l’étude.


« Droit(s) des générations futures : focus sur l’étude publiée par l’IERDJ ». Article publié le 3 juillet 2023. Bien que le droit des générations futures puisse concerner des champs aussi divers que les finances publiques, le patrimoine génétique et la bioéthique, le transhumanisme ou le patrimoine culturel, l’étude se concentre sur son application à la matière environnementale.


Une interview vidéo de Sonya Djemni-Wagner dans LamyLine, publié le 23 juillet 2023



Une vision originale et inédite de l’exposition Orage sur les générations futures à la Bourse de Commerce - Pinault Collection : Danh Vo et l’écocide.

Très bien écrite et valorisée par la talentueuse Léa Delion et préparé avec soin par Leobardo Perez Arango.

À écouter pour mieux appréhender les notions d’écocide et de générations futures avec Sonya Djemni-Wagner




Suite de l'épisode précédent : Quel droit pour les générations futures ? avec une interview de Sonya Djemni-Wagner.

Dans ce nouvel épisode de l'Art au parloir, Léa Delion et Leobardo Perez Arango nous emmènent à la découverte de "Présage", l'œuvre d'Hicham Berrada qui questionne la place de l'homme dans la nature, présente à la Bourse de Commerce - Pinault Collection, à l'occasion de l'exposition "Avant l'orage".





Au cœur des droit(s) des générations futures, la question environnementale interroge.

💡 Quelle place pour la justice, la politique, les institutions et la société civile actuelle dans ce débat ?

Plus encore, est-ce que, comme Dominique Bourg le souligne, ne sommes nous pas déjà les générations futures.


©Agence Kozy






🔎 Quelle est la capacité des gouvernements à prendre en compte le long terme ? Quelle représentation politique et juridique pour les générations futures ? Quel rôle pour la justice ?

💡 De l’intérêt à agir à la réparation du préjudice causé, l’étude révèle un droit des générations futures, fruit d’une préoccupation pour la survie de l’humanité et d’un vivant qui possède sa propre valeur.


©Agence Kozy






🌍 La jurisprudence révèle une tendance croissante des juges à s'emparer de la question des droits des générations futures. Une évolution à suivre alors que les juges s'influencent mutuellement dans cette conversation mondiale et que leur légitimité à répondre à ces interrogations reste toujours sujette à questionnement.

💼 S’intéresser à la jurisprudence étrangère permet de mettre en lumière les notions juridiques utilisées lors de ces décisions.

Les 3 exemples notables :

➡️ La reconnaissance d'une justice intergénérationnelle

➡️ La notion de l'irréversibilité des atteintes à l'environnement

➡️ Le devoir de vigilance

💡 Ces principes émergents façonnent un cadre juridique pour la protection des droits des générations à venir.

©Agence Kozy

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